Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Un capharnaüm dans ma tête
Newsletter
5 février 2010

Carnet de bord d'une jeune Vampire : chapitre 1

Chapitre n°1 : Perte de mémoire.

Nuit n°1 :

« Que s’est-il passé ? »

Je me réveillai avec un horrible mal de tête. J’étais allongée face contre terre sur un sol de pierre. Je m’assis et portai la main à mon front. J’étais brûlante. Je fermai les yeux pour tenter de me souvenir de ce qui s’était passé. Mais rien ! Le trou noir ! Je ne connaissais pas l’endroit où je me trouvais. Je regardai autour de moi dans l’espoir de trouver quelque chose qui me rappellerait ce que j’étais venue faire ici. C’est alors que j’aperçus à quelques mètres de moi une jeune fille brune, elle aussi allongée face contre terre. Je ne voyais pas son visage à cause de la masse de cheveux qui le recouvrait. Je me levai pour voir comment elle allait. Enfin je tentai de me lever. Sitôt debout, j’étais retombé par terre en poussant un cri de douleur. Je regardai ma jambe. Mon pantalon blanc se couvrait de rouge au niveau de ma jambe gauche. Qu’est-ce que je me suis encore fait ? Je remontai le tissu puis regardai. Avec une grimace de dégoût, je constatai qu’une large plaie sanglante s’étendait de ma cheville pour s’arrêter au dessus du genou. Le sang avait séché. J’examinai attentivement la blessure. Elle n’était pas très belle à voir. Si je ne la nettoyais pas elle allait s’infecter.

« Pourquoi n’a-t-elle pas disparue ? » murmurai-je soudain.

Je me rendis alors compte de l’absurdité de cette question. Une blessure comme celle-ci nécessitait de nombreux soins et mettraient certainement très longtemps pour guérir. Pourtant… au fond de moi, quelque chose me faisait penser que je n’avais pas l’habitude d’être aussi grièvement blessée sans être immédiatement guérie. Je regardai de nouveau la jeune fille étendue à quelques mètres de moi. Je me traînai jusqu’à elle tant bien que mal puis la secouai pour la réveiller. Mais c’était peine perdue. Elle ne bougea pas d’un poil. Je me mis à crier :

« Eh ! La belle au bois dormant réveille-toi ! Le prince est arrivé et vient de t’embrasser ! »

Qui était la belle au bois dormant ? Me demandai-je soudain. Quelle question idiote ? Je ne m’appesantis pas plus longtemps sur cette question stupide. Ce souvenir n’était pas important. Je regardai de nouveau tout autour de moi. Je semblais être dans une espèce de temple. Je vis alors au loin, entre deux colonnes, que le soleil commençait à se lever. Une peur immense m’envahit sans que je ne sache pourquoi. J’avais peur c’était tout. J’étais terrifiée même. Je ne savais pas pourquoi. La seule chose dont je me rappelais c’était que le soleil était mon ennemi. Je me traînai derrière un pilier en laissant là la jeune fille aux cheveux longs. Je savais qu’elle, elle ne risquait absolument rien. Je m’appuyai contre le pilier. Je fermai les yeux. J’avais si mal à la tête. J’avais aussi une profonde envie de dormir. Peut être que le sommeil ferait disparaître cet horrible mal de tête ?


Jour 1 :

« Réveille-toi ! »

Quelqu’un me secouait. Je me retournai.

« Laisse-moi tranquille, grommelai-je. J’ai sommeil. Laisse-moi dormir s’il te plait. »

On entendit alors un horrible grésillement puis on sentit une mauvaise odeur de viande grillée. Tout à fait réveillée, je retirai ma main de la flaque de lumière. Je la levai jusqu’à mon visage pour l’examiner attentivement. Ma main était pratiquement carbonisée. Elle fumait encore un peu. Je comprenais beaucoup mieux maintenant la raison pour laquelle j’avais fuit le soleil tout à l’heure. Un simple contact avec la lumière et… je finissais en barbecue. Par tous les Dieux, dans quel pétrin m’étais-je encore fourrée ?

« Tu vas bien ? Me demanda-t-on.

-Je crois que cela pourrait aller mieux. »

Je levai la tête. Devant moi, se tenait la jeune fille brune. Elle me regardait avec un air inquiet.

« Et toi, comment vas-tu ? La questionnai-je.

-Bien… enfin je crois. »

Elle avait une large et profonde balafre sur la joue qui saignait encore. Ses bras et ses jambes nues me laissaient voir de nombreux bleus avec que de multiples griffures. Elle avait aussi une profonde morsure sur le côté droit de son cou. Je la montrai du doigt.

« Qu’est-ce que tu t’es fait ? » lui demandai-je.

Elle porta aussitôt la main à son cou.

« Oh ça ! En fait… je n’en ai aucune idée. »

Elle haussa les épaules. Soudain, elle plongea ses yeux dans les miens. Elle semblait extrêmement gênée. Elle me posa alors cette étrange question :

« Pourrais-tu me dire qui je suis ? »

Elle avait donc, elle aussi, perdu la mémoire.

« Je suis désolée, lui dis-je, mais je ne peux pas. Si cela peut te rassurer… je ne me souviens de rien moi non plus.

-Tu ne sais donc pas qui je suis. »

Je secouai la tête de droite à gauche.

« Et je ne sais pas qui tu es. » ajouta-t-elle.

Je m’en serais doutée. Si nous avions toutes les deux perdu la mémoire, il me semble que c’était logique qu’elle ne sache pas qui je suis. Elle se leva.

« Il faut que nous partions d’ici. »

Elle me tendit la main.

« Minute ! M’exclamai-je. Nous ne pouvons pas partir ainsi.

-Et pourquoi ?

-D’abord… à cause de mon petit problème solaire et ensuite… parce que je suis dans l’incapacité de bouger. »

Je lui montrai ma jambe. Elle s’accroupit pour regarder attentivement ma blessure. Une grimace de dégoût se dessina sur son visage.

« Ce n’est pas très joli à voir, me dit-elle.

-Sans blague, répondis-je sur un ton ironique.

-Comment t’es-tu fait cela ?

-C’est comme pour ton cou… je ne sais pas ou plutôt je ne le sais plus.

-Je vais te porter alors. » Décida-t-elle après un rapide temps de réflexion.

J’éclatai de rire. Même si je n’étais pas très grande… elle était encore plus petite que moi, alors…

« Tu n’y arriveras jamais. » conclus-je.

Je tentai alors de me relever en m’agrippant au pilier. La douleur amplifia. Je me mordis la lèvre inférieure pour ne pas crier. Je ne voulais pas qu’elle voie à quel point je souffrais. Je ne voulais pas qu’elle me voie faible. Je me mordis la lèvre… jusqu’au sang. J’en avalais ainsi un peu. Il était vraiment délicieux. Je passai ensuite ma langue sur mes dents comme… si c’était quelque chose d’habituel. De nouveau, un peu de sang coula dans gorge. Je ne comprenais pas. J’avais à peine effleuré mes dents. Comment… ? Je mis un doigt dans ma bouche et le passai lentement sur mes dents. Je fus réellement surprise lorsqu’il entra en contact avec mes canines. Elles étaient très pointues mais aussi très tranchantes. Je retirai le doigt de ma bouche et je regardai mon étrange compagne… enfin, qui pouvait bien être la plus étrange de nous deux ? Je ne devais pas être comme cette fille. Je baissai la tête. Je ne devais pas être humaine… pas totalement du moins. J’étais autre chose… mais quoi ? Je fouillai dans ma mémoire à la recherche du nom que portait mon espèce, le nom qui la désignait. Mais je ne le trouvais pas. Je levai la tête pour regarder de nouveau la jeune femme qui était avec moi. Je savais… Non ! Je sentais, au sens propre du terme, qu’elle n’était pas comme moi. Son odeur était si différente de la mienne. Mais était-elle humaine pour autant ? Je me mis alors à chercher quelle odeur pouvait bien avoir les humains. Je fermai les yeux pour me concentrer sur mes souvenirs… ou plutôt sur mon absence de souvenir. Je perçus alors d’autres odeurs. J’humais maintenant l’air comme un chien de chasse.

« Qu’est-ce qu’il y a ? Me demanda la jeune femme aux longs cheveux bruns.

-Cela sent… » Commençai-je.

Je cherchai le nom pendant quelques secondes. J’avais trouvé !

« Cela sent l’encens ! M’exclamai-je.

-L’encens ? » Répéta-t-elle, incrédule.

Elle huma l’air à son tour.

« C’est bizarre… moi, je ne sens rien du tout.

-Nous sommes donc bien dans un temple, murmurai-je.

-Nous devons donc sortir au plus vite ! fit-elle brusquement. Tu n’as pas le droit de te trouver dans un endroit sacré !

-Et qu’est-ce qu’y t’autorise à dire une telle chose ?

-J’ai dit quoi ?

-Tu as dit que je ne devais pas rester dans un endroit sacré. »

Elle prit un air étonné. Un lourd silence s’installa.

« Nous devons sortir, insista-t-elle.

-Mais je ne peux pas. »

Elle réfléchit.

« D’accord. Reste ici. Je reviendrais te chercher. »

Elle me fit un petit salut de la main puis partit en courant. Je la regardai s’éloigner précipitamment. Une fois la jeune femme perdue de vue, je me rassis contre le pilier. Une immense fatigue m’envahit. Je refermai les yeux et je me rendormis. Je me souviens d’une chose maintenant. Il était vraiment très rare que je rêve à cette époque… mais durant ce bref instant de repos, je fis un bien étrange rêve.



Ambassade des Vampires

Deux semaines auparavant.

« Ah ! Je vous cherchais ! »

Ishta et moi, nous nous trouvions sur l’immense terrasse qui se trouvait au dernier étage de notre Ambassade. Comme à mon habitude, j’étais assise sur la balustrade pierre tandis qu’Ishta se tenait debout, à côté de moi. Il était accoudé sur cette même balustrade et regardait ce qui était en train de se passer en bas, dans la rue. Il faisait nuit. Mon jumeau et moi revenions à peine de notre chasse nocturne quotidienne. Nous parlions de nos enfants. Léo se plaisait assez dans l’école du Clan. Pour l’instant, il était en vacances d’été. Mais il ne les passait pas avec nous. Ishta l’avait envoyé dans la famille de sa mère… à Londres. Quant à mes enfants…

C’était Shiva qui venait de nous interrompre de cette manière. A l’arrivée du Premier, je m’étais levée. Ishta et moi, nous inclinâmes devant lui.

« Que désires-tu Seigneur Shiva ? Lui demanda mon jumeau.

-Que diriez-vous d’un petit voyage tous les deux ? » Répondit mystérieusement le Premier de tous les Vampires.

Ishta me regarda. Nous étions aussi intrigués l’un que l’autre. Shiva agita alors devant nous plusieurs feuilles couvertes d’une écriture un peu malhabile.

« Des Vampires ont des problèmes, nous révéla-t-il enfin.

-Le Clan ? Demandai-je.

-Cela m’étonnerait ! Eux, ils sont plutôt tranquilles pour le moment, répliqua Ishta.

-En effet, dit Shiva. Il s’agit d’un problème un peu plus particulier. Les Vampires n’auraient pas eu besoin de vous autrement. Enfin… pas autant.

-Et où devons-nous aller ? Le questionnai-je.

-En Égypte ! »

J’étais ravie. L’Égypte m’avait toujours fascinée.

« Nous n’irons pas là bas pour faire du tourisme ma Gardienne, me rappela à l’ordre mon rabat-joie de jumeau. Quel est ce problème particulier ?

-Les Bakshas ont juste repris un peu de service. »

Je ne les avais pas encore rencontré personnellement mais je savais qui étaient les Bakshas. Il s’agissait des ennemis mortels des Vampires et plus particulièrement des Gardiens. En tout cas, ma mémoire résiduelle de Gardienne était truffée de souvenirs concernant les batailles qui avaient eu lieu entre Gardiens et Bakshas. L’une d’elle qui avait eu lieu au dix huitième siècle avait été particulièrement meurtrière. Les Gardiens comme les Bakshas y avaient laissé beaucoup des leurs.

« Je croyais qu’ils avaient disparus, fit remarquer Ishta.

-Les Gardiens aussi étaient en voie d’extinction il y a encore quelques années, intervins-je.

-Et tout comme pour vous, il semblerait qu’un nouveau Baksha soit né.

-Génial ! fit Ishta. Parfait ! Vraiment parfait ! Je suppose que lui aussi, il est toujours en vie.

-Il me semble en effet. Vous êtes comme les mauvaises herbes tous les deux. J’ai l’impression que rien ne peut vous tuer.

-Je t’interdis de me comparer à lui ! » Répliqua Ishta avec colère.

Lui… je savais qui il était et la haine que lui vouait Ishta. Lui… il avait révélé au grand père d’Ishta ce que celui-ci était devenu. Cette nouvelle avait tué le vieil homme.

« Tu pourras te venger alors, lui dis-je. Je t’aiderai. »

Je me tournai vers Shiva.

« Nous avons un peu plus de renseignement ? Lui demandai-je.

-Non, répondit le Premier, c’est à vous d’en trouver. Vous partez demain. »

Shiva nous laissa seuls. Il avait donné ses ordres. Il ne nous restait donc plus qu’à les exécuter. Ishta se retourna et s’accouda de nouveau sur la balustrade. Mais ce qui se passait dans la rue ne l’intéressait plus vraiment maintenant. Il regardait le ciel étoilé. Je m’approchai de lui pour nouer mes bras autour de sa taille. J’appuyai ma joue contre son dos. Son léger tee-shirt de coton blanc était doux… un peu chaud même contre ma joue même si tout comme la mienne, la peau du Vampire était aussi froide que la glace.

« Qu’est-ce que tu as ? Lui demandai-je tendrement.

-Comme si tu ne le savais pas, ricana Ishta.

-Tout ce que je sais, c’est que l’Égypte ne te rappelle pas de très bons souvenirs. »

Il se retourna vivement.

« Horrible serait peu être un peu plus approprié. Mais il n’y a pas que cela qui me dérange. »

Il s’éloigna de moi.

« Les Bakshas sont très forts ma Gardienne. Ils ne naissent pas comme nous. Ils ne sont pas naturellement des guerriers. Ils doivent subir un entraînement très dur pour pouvoir lutter contre nous et… »

Je m’approchai de lui.

« Ne t’inquiète pas, dis-je, et puis… tu seras avec moi de toute façon. Que pourrait-il m’arriver alors ? »

Il me prit dans ses bras puis m’embrassa tendrement sur le front.

« Rejoins-moi dans ma chambre lorsqu’il partira, me supplia Ishta à voix basse.

-Nous n’avons pas le droit tu le sais bien. La Loi l’interdit. Si Shiva l’apprenait, il…

-Comme si nous n’avions jamais enfreint la Loi sans que personne ne le sache…

-Je te rappelle que nous avons promis de ne plus le faire. Shiva a changé la Loi. »

Il préféra répondre par une question.

« Viendras-tu ?

-Je ne sais pas. »

Ce fut à mon tour de m’éloigner de lui. J’allais rentrer dans la salle de réception qui occupait l’autre moitié de l’étage lorsqu’il m’appela.

« Où vas-tu ma Gardienne ? Me demanda-t-il.

-Comme si tu ne le savais pas. » Ironisai-je à mon tour.

Je me tournai vers lui.

« Cette nuit, ils auront un an. Je veux les voir.

-Tu prends un gros risque en faisant une telle chose.

-Je sais… mais je m’en moque. J’ai abandonné mes enfants mais rien ne m’empêchera d’aller les voir.

-Et tu n’as pas envie que je t’accompagne, affirma Ishta.

-Et je n’ai pas envie que tu m’accompagnes. » Confirmai-je.

 


Jour 1 :

« Tiens ! »

La brune jeta un immense drap foncé sur moi.

« Qu’est-ce que tu veux que j’en fasse ?

-Enroule-toi là-dedans. Je crois qu’il aie inutile de te dire de ne pas laisser dépasser la moindre parcelle de ton corps. »

En effet, il était inutile de le dire. Je remarquai alors qu’elle avait changé de tenue? Son short et sa chemise à manches courtes beiges avaient été troqués contre une longue robe en lin qui me rappelait… des fresques égyptiennes ! Je me mis à rire.

« Où as-tu trouvé ce déguisement ? »

Elle haussa les épaules puis dit :

« A ta place, je me dépêcherais

-Mouais… et je fais comment pour marcher ? Ma blessure me fait trop souffrir. En plus, elle s’est remise à saigner.

- Je t’aiderais. »

Elle s’approcha de moi et me tendit la main.

« Je n’ai pas besoin de ton aide ! » répliquai-je sur un ton dur et méprisant.

Je me mis debout pour m’effondrer presque aussitôt en poussant un léger cri de douleur.

« C’est sûr… tu n’as pas du tout besoin de mon aide, jugea-t-elle.

-La ferme ! »

Avec autorité, elle passa mon bras autour de son cou puis passa le sien autour de ma taille. Elle m’aida à m’envelopper tant bien que mal avec le tissu foncé. Nous réussîmes enfin. Cette opération finie, elle me colla alors un masque  sur le visage.

« Où as-tu trouvé ce truc ?

-Je l’ai volé, m’apprit-elle.

-Et bien… bonjour la moral !

-Tous les moyens sont bons pour…

-Et je fais comment pour me diriger ? L’interrompis-je d’un ton sarcastique.

-Je t’ai dis que je t’aiderais. Fais-moi confiance voyons. »

Devais-je lui faire confiance ? Une partie de moi disait oui mais l’autre se révoltait à cette idée et me soufflait le contraire. C’était oublié que… je n’avais pas vraiment le choix. Je la suivis docilement. Nous sortîmes à la lumière. Le premier moment de frayeur passé, je remarquai que le tissu foncé qui m’enveloppait me protégeait parfaitement. Nous nous mîmes à marcher… enfin… elle se mit à marcher tandis que je mis à clopiner en aveugle. Elle tint parole et me dirigea donc. Durant cette marche je pus me rendre compte que je n’avais pas vraiment besoin de mes yeux. Je découvris que mes autres sens étaient tout aussi développés que ma vue. Hélas, ils ne m’aidèrent pas vraiment à comprendre où je me trouvais. Il y avait beaucoup de monde dans la rue où nous nous trouvions mais les gens parlaient une langue étrange que je ne comprenais pas du tout. Où pouvions-nous bien être ?

« Où allons-nous comme cela ? Lui demandai-je.

-Je ne sais pas pour l’instant, me répondit mon étrange guide.

-Génial ! Je suis coincée je ne sais où, avec je ne sais qui. Je ne peux même pas voir ce qui se passe et je ne sais même pas où nous pouvons bien aller. »

Elle me laissa me plaindre sans broncher. Elle pressa juste un peu plus le pas. Je dus clopiner un peu plus vite. Mais je continuai tout de même à pousser des jérémiades.

« En plus, j’étouffe là-dessous !

-Je te rappelle que tu ne respires pas ! »

Tiens, elle l’avait donc remarqué !

« Et tu pourrais arrêter de te plaindre toutes les cinq minutes !

-Je proteste pour le principe ! » Répliquai-je.

Elle pressa encore un peu plus le pas… et ce qui devait arriver arriva. Je trébuchai. Ma jambe blessée fut alors exposée au soleil. Je poussai un cri. Je recouvris tant bien que mal ma jambe  une vitesse bien peu humaine. Elle vint s’accroupir à côté de moi.

« Tu vas bien ?

-Ça a l’air ! Répliquai-je de mauvaise humeur.

-Tu pourras marcher ?

-Aucune idée. Je vais essayer. »

Je commençai à m’agripper au mur pour me relever. Elle devait me regarder faire. Ravalant enfin mon orgueil, je me tournai vers l’endroit où je pensais la trouver pour lui demander :

« Tu peux m’aider s’il te plaît ? »

Je sentis qu’elle se déplaçait. Elle s’approche de moi. Une main ferme m’aida à me relever. Je restai sur une jambe.

« On peut y aller ?

-On peut y aller. »

Très lentement, nous commençâmes à avancer. J’avais cessé de me plaindre. Nous marchions en silence. Nous étions en train de passer devant un haut mur de pierre qui devait entourer une gigantesque propriété lorsque j’entendis une langue connue. Quelqu’un chantait. Un homme ! Je demandai à ma compagne de s’arrêter.

« Qu’est-ce qu’il y a ? Me demanda-t-elle.

-Écoute ! » Ordonnai-je.

Elle tendit l’oreille.

« Et alors ? »

Je ne l’écoutais plus. Je me laissai bercer par la voix que j’entendais. Cette chanson me fascinait. Je la connaissais. Un souvenir surgit soudain dans ma mémoire mais il s’enfuit trop vite pour me donner la clé de mon passé.


 Vallée des Rois.

Onze jours plus tôt.

« Pourquoi as-tu autant insisté pour venir ici ? Demandai-je à Ishta. Tu sais très bien que je déteste tout ce qui ressemble de près ou de loin à un cimetière.

-Nous sommes dans la Vallée des Rois, me répondit-il, un lieu magnifique chargé d’histoire et…

-De momies ! Finis-je à sa place.

-Je croyais que l’Égypte te fascinait ma Gardienne ? »

Je ne répondis pas. Je déteste les cimetières. C’est tout ! Je déteste l’odeur de la mort alors que je suis l’un de ses anges. Ishta s’assit sur un rocher. Nous avions semé le groupe de touristes  où nous nous étions infiltrés pour nous réfugier sur les hauteurs. Ishta avait raison. Cet endroit était magnifique.

« Je croyais que tu détestais ce pays Ishta.

-Je le déteste en effet. Mais la Vallée des Rois est l’un des rares endroits que j’ai toujours apprécié. »

Il regarda les alentours.

« Quand je suis devenu Gardien, les Pharaons commençaient tout juste à s’y faire enterrer. »

Il y avait une question que j’avais envie de lui poser depuis longtemps mais je n’osais pas… sans doute parce qu’elle allait lui rappeler trop de mauvais souvenirs.

« Pourquoi ton grand-père est-il venu en Égypte ?

-Je ne sais pas. Il m’a juste dit qu’il voulait voir quelqu’un qui vivait ici. Quant à moi… j’ai sauté sur l’occasion. Olympe m’avait dit qu’elle rejoindrait les autres Gardiens ici. »

Comme à chaque fois que nous parlions de sa vie de mortel, Ishta plongea dans une profonde mélancolie. Je m’installai à côté de lui.

« Je suis désolée, dis-je en posant la main sur son épaule. Je sais pourtant combien il est dur pour toi de repenser à tout cela.

-Même après tout ce temps, il continue à me manquer tu sais.

-Je sais. »

Ishta se recueillit quelques minutes. Je savais qu’il pensait à sa famille… à son grand-père surtout. J’aurais voulu connaître cet homme. Il avait élevé seul son petit fils lorsque son fils et sa femme étaient morts, tués lors d’une chasse aux Vampires. Le Gardien se mit soudain à chanter. Il s’agissait d’un très vieux chant en langue vampirique que nous étions sans doute les seuls à connaître. C’était un chant d’espoir que je ne tardais pas à poursuivre avec lui.


Jour 1 :

Je me laissai envoûter par ce chant qui était dans cette langue que je connaissais, dans cette langue dont je me souvenais. C’était une chose à laquelle je pouvais m’accrocher. Par cette chanson, j’existais. Par cette chanson… je savais qui j’étais. Mon corps oscillait en suivant le rythme de la musique. Bientôt, je me mis moi aussi à chanter. Ma voix et celle de l’inconnu s’accordèrent aussitôt. Mais de l’autre côté… la voix ne tarda guère à se taire. Par contre moi, je continuais de chanter. Je savais… je sentais qu’il m’écoutait. Bien que mon visage soit couvert par un masque, ma voix n’était pas étouffée et il pouvait m’entendre. Ma compagne me donna soudain un coup de coude.

« Tait-toi voyons ! s’exclama-t-elle. Nous ne devons pas nous faire remarquer. »

Elle se remit en marche mais bien trop vite pour moi. Nous parcourûmes ainsi plusieurs mètres et nous finîmes par tomber sur quelqu’un… au sens propre du mot. Mon masque tomba. Je me couvris aussitôt le visage avec mes mains. Quelqu’un se mit à parler dans la langue étrange que j’avais déjà écoutée. La voix était bienveillante. J’écartai légèrement les doigts pour mieux voir mais je dus aussitôt me recouvrir le visage avec mes mains jointes. Le soleil pouvait très bien me rendre aveugle. Mes mains étaient bien sûr en train de brûler mais… je préférais cela plutôt que perdre la vue. Je sentis soudain que l’on me portait puis il y eut une plus grande fraîcheur.

« Tu peux montrer ton visage » m’informa ma compagne.

Lentement, je retirai mes mains. Ma guide était devant moi avec deux hommes. Ils se ressemblaient beaucoup. Même forme de visage, mêmes yeux noirs mais des couleurs de cheveux différentes. Le vieil homme avait déjà pas mal de cheveux blancs, on pouvait tout de même se rendre compte qu’il avait été brun lorsqu’il était plus jeune. Quant au jeune homme, il avait des cheveux blonds coupés courts. Le plus vieux parla mais nous ne comprenions pas sa langue. Je regardai attentivement le plus jeune. Ses yeux noirs m’attiraient. Était-ce lui qui chantait tout à l’heure ? Je me mis à lui parler dans la langue de la chanson. Pourquoi est-ce que je m’en souvenais alors que je n’étais même pas capable de dire mon nom ? Étrangement, ce jeune homme aux envoûtants yeux noirs m’inspirait beaucoup plus confiance que ma compagne d’infortune. Il comprenait la langue que je parlais et joua donc les interprètes auprès du vieil homme. Ce dernier hocha la tête puis frappa dans ses mains.

« J’ai oublié de te prévenir Prépare-toi à avoir un choc, me dit malicieusement ma guide.

-Que veux-tu d… »

Le dernier mot s’étrangla dans ma gorge. Je ne l’avais pas encore remarqué mais nos deux hôtes portaient des vêtements dignes de l’Égypte antique. Où est-ce que nous pouvions bien nous trouver bon sang ?!


 Nuit 2 :

J’étais dans une chambre avec la jeune femme brune. On avait soigné ma jambe. La plaie avait été nettoyée. On y avait ensuite appliqué une étrange mixture. Il était alors apparu que ma jambe avait été littéralement traversée par une épée ou quelque chose d’approchant. Je ne devais pas bouger. La belle au bois dormant, comme je l’appelais en mon fort intérieur, avait mangé avec nos hôtes. Quant à moi, on m’avait apporté à manger dans cette chambre. Mais je n’avais pas touché la moindre miette de nourriture. Dès que j’avais vu les plats, j’avais eu mal au cœur. Je n’avais pas mangé alors que je mourrais de faim et de soif. J’avais pu boire mais cela n’avait rien changé. Mon ventre gargouillait et criait famine tandis que ma gorge était sèche. Je regardai ma compagne d’infortune. Dès que la nuit était tombée, m’avaient raconté le jeune homme aux yeux noirs, elle s’était écroulée, au sens propre, sur la table… endormie. Contrairement à moi, elle respirait et son cœur battait. Nous dormions dans le même lit. J’avais donc pu m’en assurer sans avoir eu besoin de me lever. J’étais assise sur notre lit. Ma jambe gauche reposait à plat dessus tandis que ma jambe droite était fléchie. J’avais posé mon coude sur mon genou droit et mon menton se trouvait au creux de ma main. Je réfléchissais. J’analysais. J’avais besoin de comprendre dans quelle situation nous nous trouvions. Je me mis à parler à voix haute.

« Tout ceci n’est pas très brillant. Récapitulons tout depuis le début. Nous nous sommes réveillées dans un temple en Égypte donc dans une époque qui n’est pas la nôtre. Tiens… voilà une bonne question ! Quelle peut bien être notre époque ? »

C’était en effet une très bonne question. Il y avait des mots que je connaissais mais dont je ne savais plus vraiment la signification. Est-ce que nous venions du passé ou du futur ? Plutôt du futur, jugeai-je, puisque j’avais été capable de reconnaître les vêtements des nos deux hôtes. Je tournais la tête pour regarder ma compagne d’infortune.

« Et toi, qu’est-ce que tu en penses Belle au bois dormant ? » lui demandai-je.

Elle me répondit par un petit ronflement.

« Apparemment, si j’ai un problème diurne, toi, tu as plutôt un problème nocturne. »

Un nouveau gargouillement issu de mon ventre interrompit mes réflexions. Je me passai la main dessus. Qu’est-ce que j’avais faim ! C’était une horreur. Il y avait bien des fruits sur un meuble de bois posé à côté de moi mais leur seule vue me donnait la nausée. Cette faim et cette soif me torturaient horriblement. Je devais trouver à manger. Je jetai un nouveau coup d’œil à ma compagne. Elle dormait si paisiblement. Sa respiration était lente. La blessure qu’elle avait au cou s’était remise à saigner. Du sang… je secouai la tête. Qu’est-ce qui me prenait ? Je devais trouver à manger. Je me levai avec précaution en veillant bien à ne pas poser ma jambe blessée sur le sol. Je commençai à me déplacer à cloche pied. Il faut bien avouer que ce n’était pas très discret. J’étais arrivé dans le jardin. Je sentis aussitôt une odeur humaine que j’identifiai très vite comme étant celle du plus jeune de nos hôtes. Tant mieux… le plus vieux ne me plaisait guère. Il avait une façon de me regarder très déplaisante. J’avais eu l’impression qu’il se méfiait de moi. J’essayai maintenant d’aller et venir encore plus discrètement mais… il avait déjà remarqué ma présence.

« Ce n’est pas très prudent d’aller chasser vu l’état de votre jambe. » me dit-il dans la langue de la chanson.

Il était assis à une table. Je m’approchai de lui.

« Que voulez-vous dire par chasser ? » lui demandai-je en m’asseyant en face de lui.

J’allongeai ma jambe sous la table. J’avais mal même si je n’avais pas posé le pied par terre.

« Vous êtes une maa, m’apprit-il simplement.

-une MA-A, répétai-je. J’ai bien peur de ne pas connaître la signification de ce mot.

-Mais vous le connaissez n’est-ce pas ?

-Il me dit quelque chose en effet. »

Nous restâmes silencieux pendant quelques minutes. Je l’observai attentivement. Il fallait bien se rendre à l’évidence. Notre hôte était très séduisant. Ses yeux noirs étaient encore plus fascinants que celui du vieil homme. J’aimais ses reflets de mystère qu’on y trouvait. Il y avait quelque chose d’envoûtant chez ce jeune homme. Mon examen n’empêchait pas la faim de me torturer mais je restais ici pour savoir, pour comprendre ce que j’étais. Mon regard s’attarda pendant un petit instant sur son cou. Il le remarqua. Le jeune homme reprit la parole.

« Vous avez faim n’est-ce pas ?

-Plutôt.

-Mais la nourriture vous donne la nausée.

-En effet. »

J’étais vraiment étonnée. Il semblait savoir beaucoup de chose sur ce que j’étais.

« Comment le savez-vous ?

-Je connais bien votre race et mon grand père également. Pour être honnête, nous vous chassions… avant.

-Nous chasser ! Mais pourquoi ?

-Le mot faim dans cette langue devrait peut être vous aider à comprendre. Peut être ressemble-t-il à un mot de la langue dans laquelle nous sommes en train de converser ou même à un mot de celle que vous utilisez avec votre ami humaine.

-Je ne crois pas qu’elle soit mon amie et je ne crois pas non plus qu’elle soit humaine. Mais revenons à cette histoire de mots qui se ressembleraient.

-Cela vous intéresse ?

-Je veux en savoir plus sur ce que je suis. Ceci me parait normal.

-Bien. »

Dans la langue dans laquelle nous conversions, c’est-à-dire celle des maas comme me l’apprit le jeune homme, faim se disait gansana. A quel mot ressemblait-il ? Je le trouvais très vite. Gansana, la faim évoquait gansa, le sang. Je traçai rapidement les mots gansa et sang sur la table. Si on enlevait le a de gansa, ces deux mots étaient des anagrammes. Que devais-je en conclure ? Quelle langue était antérieure à l’autre ? A moins que cette correspondance ne soit que le fruit du hasard. Le jeune homme s’était levé.

« Ne bougez pas, me dit-il, je reviens tout de suite. »

Il partit puis revint quelques minutes plus tard avec un gobelet en métal qu’il posa devant moi.

« Mon grand père a pensé que vous en auriez peut être besoin. »

Le gobelet était rempli à ras bord de sang.

« Merci. »

Je me jetai sur le gobelet et le portai à mes lèvres avec avidité. Mais je fis une grimace de dégoût à la première gorgée.

« C’est du sang animal ! M’exclamai-je dégoûtée.

-Vous avez vraiment cru que nous allions saigner l’un de nos serviteurs pour que vous puissiez vous nourrir ?

-Apparemment, vous ne vous rendez pas compte de la différence entre le sang humain et le sang animal ! »

Il éclata de rire.

« Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle !

-Il y a à peine cinq minutes, vous ne saviez même pas que vous vous nourrissiez de sang et vous vous permettez de me faire des remontrances alors… je crois que j’ai parfaitement le droit de rire.

-Très bien. »

Je me levai et m’éloignai. Je voulais partir de cette maison. Il n’eut aucun mal à me rattraper.

« Où allez-vous ?

-Loin de vous. Je crois que cela suffira pour le moment.

-Vous ne pouvez pas vous en sortir toute seule ! Vous avez besoin de notre aide.

-Votre aide… vous pouvez vous la mettre où je pense, répliquai-je d’un ton très calme malgré ma colère naissante. Je me débrouille très bien toute seule. »

Je me retournai et partis à cloche-pied vers la porte qui me mènerait dans la rue. Il me rattrapa et me retint par le bras.

« Écoutez… ce n’est pas très prudent de partir. Votre jambe n’est pas vraiment en bon état et… vous n’allez pas laisser votre amie ici.

-Je vous ai déjà dit que ce n’était pas mon amie.

-C’est-ce que j’avais cru comprendre. »

Je le regardai sans comprendre. Il montra rapidement son cou.

« Oui, à cause de la morsure. C’est vous qui l’avez mordue n’est-ce pas ?

-Il faudrait déjà que je m’en souvienne pour pouvoir vous le dire ! »

Je regardai sa main posée sur mon bras nu puis je levai la tête pour plongeai mon regard dans le sien.

« Pourquoi ai-je l’impression de vous connaître ? Demandai-je tout bas, plus pour moi que pour lui.

-Je n’en ai aucune idée. Mais… moi aussi. Il y a quelque chose en vous qui… comme si nous nous connaissions déjà. Comme si nous partagions une chose qui n’appartient qu’à nous. »

Il commença à se pencher vers moi. Je l’arrêtai.

« Non ! Tu sais bien que nous n’avons plus le droit. »

Il releva la tête. Il était étonné.

« Que voulez-vous dire ?

Je regardai par terre. Comment voulait-il que je le sache alors que moi-même, je ne savais pas pour quelle raison je venais de dire cela. Je choisis de changer de sujet.

« Y aurait-il un moyen de nous soigner la Belle au bois dormant et moi ?

-La Belle au bois dormant ?

-Laissez tomber… alors, y a-t-il une solution ? »

Il réfléchit quelques minutes.

« Oui, il y en a une. Dans quelques jours… je vous conduirais à d’autres personnes de votre race avec votre amie. Vous pourrez ainsi voir d’autre maas ainsi que… »

Il se tut subitement comme s’il n’avait pas le droit de me parler de cela. Je me mis à l’interroger sur ces autres personnes que nous allions voir mais il ne répondit pas. Il se pencha un peu plus vers moi.

« Retournez vous coucher, ordonna-t-il gentiment. Demain, vous aurez ce qu’il vous faut pour vous nourrir convenablement. »

Voulait-il dire qu’il allait me fournir du sang humain ? Je ne pouvais croire une telle chose.

« Merci. » répondis-je.

Il m’embrassa sur le front. Le contact de ses lèvres me fit frissonner. Je levai la tête pour le regarder dans les yeux. Plus je le regardais et plus j’étais certaine de l’avoir déjà vu, de le connaître.

« Dormez bien. » me dit-il.

Il partit sur ces mots. Je rejoignis lentement ma chambre. Belle au bois dormant ronflait toujours. Elle ne s’était toujours pas réveillée. Demain, j’allais devoir lui parler sérieusement. Nous avions quelques petites choses à régler.


Jour 2 :

Le soleil allait bientôt se lever. Je m’étais assise dans le coin le plus sombre de la pièce pour échapper à ses rayons meurtriers. Je regardai la Belle au bois dormant. Elle avait commencé à s’agiter au moment même où j’avais senti que le soleil était en train de se lever. Elle aussi, elle devait posséder ce pouvoir, celui de savoir que le jour se lever et tout comme moi, elle devait sûrement sentir quand la nuit tombait. Elle baignait maintenant dans une grande flaque de lumière. Elle se réveilla enfin. La jeune femme aux cheveux bruns s’assit sur le lit et… comme si elle savait très bien où je pouvais me trouver, elle tourna la tête vers moi.

« La nuit m’a surprise avant que je ne puisse te parler, m’informa-t-elle.

-Je crois, en effet, que nous devons avoir une petite conversation. »

Elle se déplaça jusqu’au rebord du lit où elle resta assise. Je n’avais pas encore vraiment fait attention à la couleur de ses yeux. Ils étaient d’une couleur claire qui n’était pas vraiment humaine. Ils étaient d’un beau bleu mais ils paraissaient presque transparents. Ces yeux étranges formaient un important contraste avec sa peau. Si la mienne était blanche et froide, la sienne était brune et dorée. Je ne m’étais jamais vue dans un miroir mais j’avais l’impression que nous formions les parfaits opposés physiques et cela même si nous semblions posséder la même nuance au niveau de la couleur en ce qui concernait nos cheveux. Mais là encore, il y avait une grande différence. Les siens tombaient jusqu’au bas de son dos tandis que les miens étaient coupés courts, comme un garçon. Plus je l’observais et plus j’étais certaine qu’elle n’était pas humaine. Mais elle n’était pas une maa comme moi. Nous continuions à nous observer mutuellement en silence. Elle avait dû faire les mêmes constations que moi en ce qui concernait nos dissemblances physiques. J’essayai de me rappeler notre rencontre, la première fois que je l’avais vue. Avais-je été frappée par ses yeux étranges ? L’avais-je rencontrée dans la rue et m’étais-je retournée après l’avoir croisée ? Je rompis enfin le silence.

« Le petit fils de notre hôte m’a dit qu’il était possible de soigner la blessure de ton cou ainsi que celle de ma jambe. »

Elle inclina légèrement la tête. Aucun de nous ne semblaient avoir envie d’aborder la question qui nous torturait. Laquelle allait parler ? Laquelle allait enfin oser aborder le sujet qui nous préoccupait ? La Belle au bois dormant parla enfin.

« As-tu compris où nous nous trouvions ?

-Oui. Nous sommes en Égypte mais je n’ai pas pu situer exactement la période.

-Parce que tu es une experte là-dedans, répliqua-t-elle sur un ton sarcastique.

-Je n’en ai aucune idée. Mais j’ai l’impression que je sais pas mal de chose sur le sujet.

-Alors… nous viendrions du futur.

-Je crois.

-Si cela peut t’aider, j’ai cru comprendre que le temple où nous nous sommes réveillées porte le nom de Djeser Djeseru.

-Djeser Djeseru ! Ce n’est pas vrai ! » M’exclamai-je en me levant.

Je me précipitai vers elle et l’agrippai par le col. Mais je dus rapidement faire marche arrière.

« Saloperie de soleil ! » criai-je en colère.

La Belle au bois dormant éclata de rire.

« Arrête immédiatement. » ordonnai-je.

L’entendre rire de moi me mit encore plus en colère. Elle continuait de rire. J’avisai alors la couverture sur le lit. D’un geste rapide, je l’attirai vers moi. Je m’en couvris et me précipitai de nouveau vers elle.

« Maintenant, lui dis-je, essaie un peu de t’échapper. »

Je la levai du lit. J’étais si forte et elle n’était pas très lourde. Je n’eus aucun mal à l’emmener dans le coin sombre que j’occupai précédemment. Je me déchargeai de la couverture. Je tenais Belle au bois dormant coincé contre le mur. Ma bouche était au niveau de son cou. J’étais prête à mordre.

« Tu en veux une deuxième ? » lui demandai-je doucement.

Mais elle n’avait pas peur de moi. Je sentais son regard posé sur moi. Elle semblait très sûre d’elle.

« Et toi, une autre jambe blessée, cela te dirait ?

-Impossible ! Tu n’as plus ton satané sabre. Sans lui, tu n’es rien du tout! »

Une horrible migraine s’empara soudain de moi. Je la lâchai. J’avais réussi à me souvenir de quelque chose. Je fermai les yeux. Je vis Belle au bois dormant se précipiter vers moi. Elle avait un sabre au manche bleu foncé presque noir à la main. Je regardai ce que je tenais à la main. Il s’agissait d’un poignard d’argent avec sur le manche deux signes entrecroisés. Il se transforma tout à coup en sabre. Il y eut des étincelles au moment où nos deux lames s’entrechoquèrent.

« Tu vas bien ? » me demanda la Belle au bois dormant.

Je m’étais accroupie et je me tenais la tête. Ce n’était pas une migraine que j’avais ! On aurait dit que mon crâne allait exploser. Je n’étais pas humaine et je possédais quelques pouvoirs mais… est-ce que j’étais capable d’avoir des visions ? Ce que je venais de voir… était-ce un souvenir, un évènement passé ou futur ? Je sentais que Belle au bois dormant était inquiète. Je l’entendis fermer les volets de bois mais je ne pus la voir faire. D’autres images étaient en train de défiler dans ma tête mais tout était trop trouble, trop confus. Je ne réussis donc pas à démêler la toile de ses images. Je sentis qu’on me transportait sur le lit. J’étais si fatiguée. J’avais tellement envie de dormir. Tout ceci m’avait épuisée. Je fermai les yeux et je m’endormis.


Deir el Bahari.

Sept jours plus tôt.

« Alors, d’après tes indices, les Bakshas doivent venir ici aujourd’hui, dis-je à Ishta.

-Oui ma Gardienne, répondit-il. L’une des chapelles de ce temple est dédiée à Hathor, une des déesses qu’ils vénèrent. Ils viennent aujourd’hui y faire leur pèlerinage.

-Hathor, répétai-je pensive, la déesse de la joie, de la musique et de l’amour… pas étonnant qu’ils la vénèrent.

-Sais-tu qu’il existe également ici une chapelle dédiée à Anubis. Nous pourrions y aller tout à l’heure.

-Je le savais… ce qui veut dire que sont réunis ici deux dieux vénérés par les Gardiens et les Bakshas.

-On peut dire cela comme ça.

-Ishta, cela pourrait peut être dire que nous n’avons pas toujours été ennemis, constatai-je après un moment de réflexion.

-Nous l’avons toujours été. » Répondit-il d’un ton catégorique.

Je laissai tomber. Cela ne servait à rien de le raisonner. Ishta avait une haine et une rancune particulièrement tenace et moi, sa jumelle d’esprit, j’étais pareille. Pourtant… mon idée n’était pas si idiote. Je fermai les yeux pour chercher dans la mémoire résiduelle des Gardiens une preuve de ce que j’avançais. Mais s’il y avait eu un quelconque rapprochement entre nos deux peuples, il devait être antérieur à la création des Gardiens. Je me concentrai un peu plus pour réussir à provoquer une vision du passé mais…

« Laisse tomber, me dit Ishta. Il est impossible de provoquer les visions. J’ai déjà essayé. En trois mille quatre cent soixante-huit ans de vie, je n’y suis jamais arrivé. »

J’avais rouvert les yeux.

« Trois mille quatre centre soixante huit ans de mort serait sans doute plus juste, fis-je remarquer. Ishta…

-Quoi ?

-J’aimerais que tu me parles des Bakshas.

-Tu sais déjà tout ce qu’il y a à savoir sur eux. Ce sont nos ennemis et ceux de tous les Vampires. Il n’y a rien d’autre à savoir.

-Tu vois Ishta, je n’en serais pas aussi sûr que toi. »



Jour 2.

Je me réveillai. J’avais retrouvé toutes mes forces maintenant. La Belle au bois dormant était penchée sur moi. Elle souriait.

« Tu savais que tu parlais en dormant ? Me questionna-t-elle.

-Comment veux-tu que je le sache ! On a perdu la mémoire je te le rappelle. »

Je m’assis sur le lit. J’avais besoin de réfléchir. Je baissai la tête puis la relevai vivement.

« J’ai parlé !

-Oui. Tu parlais à quelqu’un. Il s’appelait Ishta. Je pense qu’il s’agit d’un maa tout comme toi. »

Je portai la main à mon front. Mon mal de tête s’était calmé mais mon front était toujours aussi chaud. J’étais couverte de sueur.

« Regarde ta main. » me dit la Belle au bois dormant.

Je lui obéis. Ce n’était pas de la sueur comme je l’avais débord cru. J’approchai ma main de mon nez pour la sentir. Je reconnus aussitôt cette odeur. Lentement, je passai la langue sur mon doigt. C’était bon.

« Ce n’est que du sang dilué dans de l’eau. » appris-je à ma compagne.

Je la regardai. Elle ne semblait pas étonnée, ni par ce que je venais de faire, ni parce que je venais de dire.

« Nous devons parler, lui dis-je.

-Tu as raison, répliqua-t-elle. Nous devons parler. »

Elle marqua une petite pause avant d’ajouter :

« Laisse-moi résumer. Nous sommes dans une époque qui n’est pas la nôtre et nous ne savons pas comment nous sommes venues ici, ni comment nous pouvons en partir.

-Ajoute également que nous sommes blessées et que nous avons toutes les deux un sérieux problème avec le soleil. »

Elle me regarda avec une mimique d’incompréhension.

« Oui, poursuivis-je, je ne peux pas m’exposer au soleil sans devenir un tas de poussière tandis que toi, tu t’endors dès qu’il se couche.

-C’est vrai, convint-elle.

-Ce qui veux dire que nous allons devoir nous relayer pour obtenir des informations et enquêter.

-Tu ne pourras aller nulle part tant que ta jambe ne sera pas guérie, objecta la Belle au bois dormant.

-Je demanderais au petit fils de notre hôte de me conduire à ces autres maas qui seraient en mesure de me soigner.

-Et moi ? »

Je baissai la tête et je gardai le silence. Si ce que j’avais vu était vrai, elle était une ennemie. Mais… était-elle mon ennemie ou celle de mon espèce ? Dans tous les cas, il ne serait pas très prudent de la conduire vers d’autres maas. Que devais-je faire ?

« Dis-moi ce que tu as vu ? » me demanda-t-elle soudain.

Je relevai vivement la tête, étonnée.

« Comment sais-tu que j’ai vu quelque chose ?

-C’est assez dur à expliquer en fait… » Commença-t-elle.

Elle s’assit à côté de moi.

« C’est assez bizarre aussi. En fait, dès que je suis en face de toi, je ressens une sensation très étrange. Il y a en toi une énergie différente de celle des autres. Il y a quelque chose qui émane de toi qui es différent…

-J’ai bien peur de ne pas vraiment comprendre ce que tu essaies de me dire, l’interrompis-je.

-J’ai l’impression qu’en chaque être, il existe une énergie dont je réussis à percevoir les vibrations. J’ai su que tu étais différente bien avant de constater ton absence de pouls, avant de remarquer que tu n’avais pas besoin de respirer. L’énergie qui émane de toi est différente des autres… ton aura est différente de celles des autres.

-Cela n’explique pas comment tu as su pour… mes visions.

-J’ai senti une augmentation de ton énergie quand tu m’as attaquée puis, quand tu m’as lâchée, cette énergie a encore augmenté pour décroître d’un coup quant tu t’es endormie.

-Tu as donc compris que j’étais en train d’utiliser mes pouvoirs.

-Oui.

-Mais comment as-tu pu savoir qu’il s’agissait de vision ?

-Cela, je ne le sais pas vraiment.

-C’est comme pour moi. J’ai peut être vu des choses mais c’était flous et trop confus, mentis-je.

-J’ai l’impression que nous ne sommes pas vraiment des personnes normales.

-Pour moi ce n’est qu’une impression ! »

Elle ne comprit pas ce que je voulais dire.

« Oui, ajoutai-je en voyant son air intrigué. C’est comme pour ton histoire d’énergie intérieure, d’aura… Chaque être a une odeur différente mais elles se ressemblent quand même un peu. Chez toi, elle est beaucoup trop différente.

-Toi, au moins, tu sais ce que tu es. Mais moi… qu’est-ce que je suis ? Qui suis-je ? »

Mon ennemie fut la première réponse qui me vint en tête. Mais j’éloignai tout ceci de mon esprit.

« Il faut que nous retrouvions la mémoire, dis-je.

-Je ne suis pas vraiment sûre d‘apprécier ce dont je vais me souvenir.

-Et pourquoi ?

-Tu as l’air de te souvenir de certaines choses tandis que moi… Depuis que nous nous sommes réveillées dans ce temple, je ne me suis souvenue de rien. Alors… j’ai peur. »

Je me rapprochai d’elle et posai les mains sur ses épaules. Une étrange sensation venait de s’emparer de moi. J’avais envie de la protéger. J’avais envie qu’elle n’ait aucun problème. Je ne voulais pas la voir inquiète. J’essayai de la rassurer.

« Et si nous ne retrouvions jamais notre époque ! » continua-t-elle.

Si elle continuait ainsi, elle allait me faire une crise de nerfs. Même si elle était mon ennemie, je n’avais pas le droit de profiter de sa faiblesse. Même si je devais être quelqu’un qui n’était pas très fréquentable… après tout, je me nourrissais de sang humain, je ne me croyais pas capable de profiter de la détresse et de la faiblesse de quelqu’un et cela même s’il était le plus grand de mes ennemis. Non, je ne croyais pas que j’étais ainsi.

« Écoute, si cela peut te rassurer, nous allons faire une promesse. Va cherche un couteau s’il te plait.

-Si tu veux. »

Elle se leva puis partit en courant. Je venais de me souvenir d’un rituel de mon peuple… enfin, je croyais me souvenir. La Belle au bois dormant revint bientôt, le couteau à la main.

«Tiens, me dit-elle en me le tendant.

-Merci. Fais comme moi. »

Je pris le couteau puis je m’assis en tailleur par terre. Elle fit de même en face de moi. Je posai le couteau entre nous deux. La pointe dirigée vers la porte, à ma gauche, à sa droite. Ce geste n’était pas anodin. Elle me regarda faire et dit :

« Je me souviens de ce rituel. »

Elle n’était donc pas spécifique à mon peuple. Tant mieux, cela allait faciliter pas mal de chose.

« Alors tu sais ce que je vais faire. »

Elle acquiesça. Je pris le couteau puis en posai le tranchant sur la paume de ma main droite. D’un geste lent, je fis coulisser le couteau. Cela faisait mal mais ce n’était rien à côté de la douleur que j’avais à la jambe. Le sang coula. Je tendis le couteau à la Belle au bois dormant. Nous n’échangeâmes aucune parole ainsi que l’exigeait le rituel. Elle procéda aux mêmes gestes que moi. Nous nous regardâmes dans les yeux. Après avoir reposé le couteau dans sa position initial, nous levâmes la main à hauteur de notre visage puis nous les appliquâmes l’une contre l’autre, sang contre sang. Nos sangs se mêlèrent. Nous pouvions parler maintenant. Surgirent alors de nos mémoires des paroles millénaires prononcées par très peu de personnes avant nous mais dans des circonstances à peu près similaires.

« Nous promettons de lutter ensemble. Peu importe ce que nous sommes. Nous reviendrons ensemble. Si l’une de nous ne peut revenir, l’autre restera. Nous nous jurons assistance et aide mutuelle. Mon sang est ton sang. Ton sang est mon sang. »

Nos mains se désunirent. C’était fini. Aussitôt, je me mis à regretter ce geste. Je me souvenais maintenant qu’une promesse liée par le sang était sacrée pour mon peuple. Il n’y avait qu’un seul moyen de la défaire… la mort ! J’avais aussi la sensation d’avoir enfreint quelque chose. Je regardai la Belle au bois dormant. Ses yeux exprimaient des doutes similaires aux miens. C’est alors que je le remarquai !

« Ton cou ! »

Elle y porta la main.

« La morsure a disparu. » constata-t-elle étonnée.

Nous nous regardâmes sans comprendre. Je remontai le bas de mon pantalon. La blessure n’avait pas disparu mais elle avait considérablement diminué. Elle était moins grande… moins profonde… Elle ne s’étendait plus que de ma cheville au milieu de la jambe.

« Incroyable ! Nous nous sommes guéries mutuellement, dis-je.

-Tu n’as peut être plus besoin d’aller voir ces autres maas alors ?

-Si. Ils connaissent peut être un moyen de nous faire retourner à notre époque ou alors comment nous redonner nos souvenirs. »

Publicité
Commentaires
Un capharnaüm dans ma tête
Publicité
Derniers commentaires
Publicité